Agressée depuis le mois de novembre 2021 par les troupes du Mouvement du 23 Mars, dit « M23 » soutenu par le régime rwandais, la RDC vient de publier en ce mois de décembre 2022, un livre blanc qui vise d’une part à « démontrer principalement le caractère avéré de l’agression rwandaise en cours sous toutes ses formes à partir des faits évidents établissant l’implication et la responsabilité internationale du Rwanda » et d’autre part, vise à appeler « la communauté internationale à prendre acte de la réalité de cette agression et à agir en vue de préserver la paix et la sécurité dans la sous-région. »[1]
Ce livre blanc est un réquisitoire de près d’une septantaine de pages dans lesquelles le gouvernement congolais détaille, documents et images à l’appui, les attaques du M23 sur son territoire qui « ont occasionné la commission de plusieurs actes constitutifs de crimes internationaux, particulièrement le crime d’agression, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, et le crime de génocide et d’écocide. »[2]
A travers notamment des images satellites, des photos de soldats capturés ou de matériaux militaires saisis, ce livre blanc présente « à l’opinion nationale et internationale la tragédie que vit le peuple congolais, particulièrement les populations des provinces de l’Est du Congo, faits constitutifs des violations du droit international et établissant irréfutablement la responsabilité internationale du Rwanda et de ses ressortissants ainsi que des sanctions qui en découlent. »[3]
A travers des images, par moments insoutenables, de victimes, le livre blanc accuse le M23 et l’armée rwandaise d’avoir commis le crime d’agression, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité mais aussi des crimes de génocide, notamment lors de l’attaque meurtrière de Kishishe des 29 et 30 novembre 2022, au cours de laquelle, selon le rapport « plus de 102 Hutu congolais » identifiés comme tels, auraient été exécutés par les troupes du M23/RDF. Le rapport cite également l’exécution de 95 Nandes et 30 Hundes tués par les troupes du M23/RDF « tout simplement à cause de leur cohabitation avec les Hutus, cibles jurées du régime de Kigali. »[4]
Ce massacre avait été largement condamné au sein de la communauté internationale, des Etats-Unis à la Belgique en passant même par la Russie.
A côté du drame humain dénoncé et mis en avant tout au long du livre blanc, le gouvernement congolais évoque un désastre environnemental et accuse les troupes du M23/RDF « d’écocrimes et d’écocide » en ce que plusieurs territoires abritant des aires protégées et réserves naturelles se trouvent sous contrôle du M23/RDF et « subissent des pertes significatives en termes de faune, de flore et des services écosystémiques y associés. »[5]
Au delà de la mise en avant du désastre humain et écologique, le rapport appelle « la Communauté internationale, les Nations Unies principalement » à des actions urgentes afin d’ engager la responsabilité internationale de l’Etat rwandais ainsi que la responsabilité pénale et individuelle des Rwandais et Congolais présumés responsables de cette énième tragédie, car procéder autrement «serait, d’une part, encourager le Rwanda à poursuivre son agression, ses crimes en RDC et, d’autre part, nourrir davantage la suspicion légitime des Congolais sur l’impartialité de l’ONU ainsi que la complicité de certains de ses membres dans ces crimes. »[6]
Là ou le rapport mapping publié le 1er octobre 2010 et documentant les crimes internationaux commis sur le territoire de la RDC de 1993 à 2003, tait le nom des présumés bourreaux, le livre blanc du gouvernement congolais cite des noms de présumés responsables qui vont jusqu’au plus haut sommet de l’Etat rwandais comme James Kabarebe, conseiller spécial de Paul Kagame en matière de sécurité, Jean Bosco Kazura chef d’état major de l’armée rwandaise et même Paul Kagame mis directement en cause suite à plusieurs discours va-t-en guerre contre son voisin.
Pour le gouvernement de la RDC, aucun motif valable ne peut justifier un soutien du Rwanda au M23 et le gouvernement consacre tout un pan du livre blanc à balayer les prétextes qu’invoque souvent le régime rwandais pour insinuer que ses intérêts ou ceux de sa population y seraient menacés notamment les supposés discours de haine qui seraient déversés contre les rwandophones. Ces discours, affirme le gouvernement congolais ne seraient que « quelques cas isolés de voies de fait vite maîtrisés et réprimés (leurs auteurs ayant été arrêtés), » alors que le gouvernement de la RDC « s’est employé
à persuader la population à ne pas tomber dans le piège et le jeu du gouvernement rwandais et de ses affidés du M23. »
Le gouvernement fait notamment référence aux initiatives de Felix Tshisekedi, qui entre autres, dans un discours du 4 décembre 2022 largement salué par la communauté rwandaise aux quatre coins du monde ainsi que par la population congolaise avait lancé sous les vives applaudissements de 250 jeunes venus de 26 provinces de RDC « Ne faites pas ça, ne haïssez pas les étrangers, et d’ailleurs à propos du Rwanda , ca ne sert à rien de regarder le rwandais comme un ennemi, c’est le régime rwandais avec Paul Kagame à sa tête qui est l’ennemi de la République démocratique du Congo. »
Avant de poursuivre « Les rwandais et les rwandaises sont nos frères et sœurs et d’ailleurs ils ont besoin de notre aide parce qu’ils sont muselés. Ils ont besoin de notre aide pour se libérer. Cela n’a rien avoir avec ce que leurs dirigeants sont entrain de leur imposer. Donc ne les regardez pas comme des ennemis mais comme des frères qui ont besoin de notre aide pour nous débarrasser et débarrasser l’Afrique de ce genre de dirigeants rétrogrades» égratignant au passage Paul Kagame « qui s’enorgueillit d’être un faiseur de guerre, moi à sa place j’aurais honte d’assumer le fait qu’on sème la mort et la désolation, c’est honteux et je dirais même diabolique.»
Plaidoyer pour un tribunal pénal international pour la RDC
Alors que jusqu’à cette année 2022, le gouvernement congolais s’était montré plutôt timoré, voire silencieux, sur la question d’un tribunal pénal international pour la RDC réclamé de longue date par différents acteurs de la société civile, ce dernier fait dans ce livre blanc un véritable plaidoyer pour « la création d’une juridiction pénale internationale pour le Congo et des poursuites pour les personnes physiques rwandaises pénalement responsables du crime d’agression et d’autres crimes de droit international » « Tout en se réservant le droit de poursuivre les auteurs rwandais de ces crimes en vertu de la compétence territoriale de ses instances judiciaires. »
Dans sa conclusion, le gouvernement congolais réitère que « Le peuple congolais n’a aucun problème avec le peuple rwandais mais, il ne peut continuer de tolérer l’hostilité, et le coté belliciste du régime rwandais » et estime, en rappelant le génocide commis contre les tutsis du Rwanda en 1994, qu’il paie depuis 28 ans « un lourd tribut de ce génocide pour lequel il n’a aucune responsabilité », considérant être « devenu la victime expiatoire des turpitudes et de la mauvaise conscience des décideurs de la communauté internationale qui, en réalité, sont responsables de ce génocide rwandais par l’indécision et l’indifférence. »
Comble du cynisme, ajoute le gouvernement congolais « pour justifier les agressions de leur pays contre la RDC, les dirigeants rwandais accusent même l’armée congolaise de coaliser avec les fameuses (fantomatiques) Forces démocratiques pour la libération du Rwanda, FDLR. »
Les auteurs du rapport regrettent que « ni l’ONU, ni l’Union Africaine, ni l’Union Européenne ne condamnent le Rwanda et ne sanctionnent ces crimes dont la matérialité a été démontrée dans ce Livre Blanc, mais le monde recommande paradoxalement le dialogue entre la RDC, d’une part, et ses voisins, l’Ouganda et le Rwanda, d’autre part. »
En Occident, ajoutent les auteurs, « seuls les États-Unis parmi les membres permanents du Conseil de sécurité élèvent la voix contre le comportement criminel et génocidaire du Rwanda à l’égard du Peuple congolais et exigent qu’il cesse de soutenir les terroristes du M23. (…) L’Union Européenne est plutôt tiède, mais mobilise tous azimuts pour obtenir la condamnation de la Russie accusée de faits semblables contre l’Ukraine. »
Le rapport conclut en affirmant que pour le peuple congolais et ses dirigeants, « l’heure a sonné de casser à jamais le cycle infernal de la violence à l’Est de la RDC pour stabiliser la Région des Grands Lacs »
Et à titre de citation de clôture, les auteurs reviennent sur les propos tenus par Madame Julienne LUSENGE, Directrice exécutive du Fonds pour les femmes congolaises au Conseil de sécurité des Nations Unies au Conseil de sécurité des Nations Unies, le 02 juillet 2022 « Il est temps de cesser d’applaudir ce pays qui se développe sur les morts, les violences sexuelles et par l’exploitation illicite de nos ressources »
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Ruhumuza Mbonyumutwa
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[1]Préface du premier Ministre congolais Jean-Michel SAMA LUKONDE KYENGE.
[2] Page 8.
[3] Ibid.
[4] Page 22.
[5] Page 23.
[6] Le rapport citant le Président de la République Démocratique du Congo, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, à la tribune de la 77ième session ordinaire de l’Assemblée Générale de l’ONU, le 20 septembre .