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Après trois ans de détention, les accusés de la « lecture de résistance passive » devant la justice

Après trois ans de détention, les accusés de la « lecture de résistance passive » devant la justice

Après trois longues années derrière les barreaux, neuf personnes arrêtées pour avoir lu un livre considéré par les autorités rwandaises comme une incitation à la révolte vont être jugées. Le procès, prévu le 18 octobre 2024 à la Haute Cour de Nyamirambo, marque un tournant crucial dans un contexte de critiques croissantes sur la liberté d’expression et les droits de l’Homme au Rwanda.

Le 13 octobre 2021, veille de la journée internationale de solidarité avec les prisonniers politiques au Rwanda, surnommée «Ingabire Day », plusieurs individus ont été interpellés principalement pour avoir lu et partagé l’ouvrage « Comment faire tomber un dictateur quand on est tout seul, petit, sans armes » de l’auteur Serbe Srdja Popović. 

Ce livre, qui présente des stratégies de résistance non violente contre les régimes autoritaires, a été perçu par les autorités rwandaises comme une menace pour l’ordre public. Parmi les personnes arrêtées figurent Théoneste Nsengimana, journaliste et directeur du média en ligne Umubavu.com, connu pour ses critiques du gouvernement. Huit autres personnes, affiliées au parti d’opposition Dalfa UMURINZI dirigé par Victoire Ingabire, ont également été arrêtées, notamment Hamad HagenimanaEmmanuel MasengeshoAlphonse MutabaziMarcel Nahimana, Jean Claude Ndayishimiye, Alexis RucubanganyaSylvain Sibomana et Joyeuse Uwatuje. Tous risquent jusqu’à 15 ans de prison.

Les accusations portées contre eux incluent « incitation au désordre public » et appel à révolte contre le régime en place. En plus de la lecture du livre, plusieurs d’entre eux sont accusés d’avoir participé à des formations en ligne animées par deux Serbes, sur des stratégies de résistance non violent , telles que des manifestations, des boycotts et la sensibilisation des citoyens à leurs droits.

Les accusés, membres du parti Dalfa UMURINZI, sont proches de Victoire Ingabire, une figure de l’opposition qui lutte depuis plus de quatre ans pour faire enregistrer légalement son parti au Rwanda. Ses efforts ont été systématiquement entravés, et cette affaire est largement perçue comme une nouvelle tentative de réprimer l’opposition politique dans un pays où le pluralisme est restreint. L’arrestation de membres d’un parti non enregistré, combinée à celle liée à la lecture d’un livre, envoie un message préoccupant : toute critique ou tentative d’organisation politique peut être interprétée comme une menace pour le pouvoir en place, entraînant de lourdes sanctions.

La Haute Cour de Nyamirambo, qui va juger ces personnes, a compétence pour juger des affaires de haute trahison,  d’infractions contre la sécurité de l’État et  d’actes de terrorisme. 

Le transfert du dossier des neuf accusés à cette cour témoigne de la gravité des accusations qui pèsent sur eux. Ces personnes sont accusées de crimes qualifiés de graves  notamment d’avoir provoqué et incité à un soulèvement ou à des troubles au sein de la population.

Selon la loi, toute personne qui incite la population à se soulever contre le pouvoir établi, provoque des troubles ou agit dans l’intention de semer le désordre dans le pays commet une infraction. 

En vertu de la loi rwandaise, les condamnations pour de telles infractions peuvent entraîner des peines d’emprisonnement allant de dix à quinze ans.

Depuis leur arrestation, les accusés ont passé trois ans en détention sans procès, une situation dénoncée par des organisations internationales telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch. Ces dernières qualifient cette détention prolongée d’arbitraire et de violation flagrante du droit à un procès équitable, tel que stipulé dans les conventions internationales auxquelles le Rwanda est signataire.

Une justice tardive équivaut à un déni de justice 

La législation rwandaise permet à une personne soupçonnée d’un crime d’être placée en détention provisoire . La durée initiale de cette détention ne peut excéder cinq jour , mais le procureur peut la prolonger de cinq jours supplémentaires si l’enquête n’est pas achevée.

Au-delà de cette période de dix jours, la loi stipule que toute prolongation doit être justifiée et qu’aucune personne ne peut être maintenue en détention pendant plus de six mois sans que son affaire soit jugée. Cependant, la détention prolongée de trois ans des individus accusés d’avoir lu le livre  de Popović démontre que le Rwanda ne respecte pas ses propres dispositions légales. Cela remet en question l’indépendance du système judiciaire,  souvent perçu comme un outil politique pour réprimer les critiques et affaiblir l’opposition.

Le procès prévu ce18 octobre 2024 est observé de près par des acteurs nationaux et internationaux, considérant cet événement comme un test décisif pour l’indépendance de la justice au Rwanda. Cette affaire soulève des questions fondamentales sur la criminalisation de la pensée et la capacité des citoyens à s’exprimer sans craindre de représailles. Le livre de Srdja Popović, qui prône la résistance pacifique, ne contient aucun appel à la violence, ce qui remet en question la légitimité des accusations portées contre les accusés.

Au-delà de cette affaire, le climat politique au Rwanda suscite de sérieuses inquiétudes. Les dernières années ont été marquées par un durcissement des mesures contre les médias indépendants, les partis d’opposition et les défenseurs des droits de l’Homme. La criminalisation de la lecture d’un livre est perçue comme une tentative de contrôler non seulement les actions, mais aussi les idées des citoyens.

Dans l’éventualité où les accusés seraient reconnus coupables, les trois années déjà passées en détention seront déduites de leur peine. En revanche, en cas d’acquittement, la loi ne prévoit aucune indemnisation pour  les préjudices subis.

Ce procès suscite un intérêt bien au-delà des frontières du Rwanda, attirant l’attention internationale. À l’approche de l’audience prévue le 18 octobre 2024 à la Haute Cour de Nyamirambo, l’avenir des accusés reste incertain. Ce jugement est d’une importance cruciale, non seulement pour les personnes concernées, mais aussi pour l’avenir de la liberté d’expression et de la justice au Rwanda.

Prudence Nsengumukiza
Jambonews.net

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