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Neutraliser ou dialoguer : quelle solution pour les FDLR ?

Neutraliser ou dialoguer : quelle solution pour les FDLR ?

Les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) suscitent depuis leur création de vives controverses, particulièrement autour de leur classification comme organisation génocidaire par le gouvernement rwandais. Dans une interview accordée à la BBC le 4 novembre 2024, le ministre des Affaires Étrangères du Rwanda, Amb. Olivier Nduhungirehe, a réaffirmé cette position en déclarant de manière catégorique : « Les FDLR sont responsables du génocide contre les tutsis de 1994. Il n’y aura en aucun cas jamais de place pour des négociations avec un groupe qui a commis un génocide. » Comparant la situation des FDLR à celle du régime d’Hitler en Europe, il a insisté qu’aucun pays n’aurait accepté de négocier avec des responsables du génocide nazi, ajoutant : « Il est impossible de négocier avec un groupe de génocidaires qui a tué plus d’un million de personnes. »

Ces déclarations illustrent la position du Rwanda, qui refuse toute idée de dialogue avec les FDLR. Ces accusations sont-elles étayées par des preuves solides et vérifiables ? Cet article explore cette question en examinant les faits et les éléments historiques relatifs aux FDLR, afin de mieux comprendre leur rôle dans le contexte sécuritaire global de la région des Grands Lacs. Voici une analyse en dix questions clés.

1. Les FDLR sont-ils un mouvement génocidaire ?

Les FDLR sont souvent présentés comme un mouvement génocidaire en raison de leurs liens avec les anciennes Forces armées rwandaises (FAR). Pourtant, cette affiliation reste l’une des bases principales de cette accusation, car aucun acte ou document, à ce jour, ne démontre une idéologie génocidaire au sein des FDLR.

Un mouvement génocidaire est une organisation qui planifie et exécute des actes visant à détruire un groupe ethnique, national, racial ou religieux. Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), chargé de juger les responsables du génocide de 1994, n’a condamné qu’un nombre limité d’officiers des FAR, et aucun des dirigeants actuels des FDLR n’a été inculpé pour génocide. Parmi les près de 500 officiers que comptaient les FAR avant 1994, seuls 9 ont été condamnés par le TPIR. Certains hauts commandants des FAR, comme le chef d’état-major adjoint en charge des opérations le général de brigade. Gratien Kabiligi et le chef d’état-major de la gendarmerie le général-major. Augustin Ndindiliyimana, ont même été acquittés par le TPIR.

De plus, de nombreux anciens membres des FAR vivent aujourd’hui librement au Rwanda, et certains occupent des postes de haut niveau au sein des Forces de Défense Rwandaises (RDF). Ces faits suggèrent que l’affiliation aux FAR ne permet pas de définir un individu ou un groupe comme génocidaire. Par ailleurs, il est important de noter que les FAR, en tant qu’entité, n’ont jamais été définies comme une institution génocidaire par le TPIR ou par toute autre institution judiciaire ayant eu à juger des officiers des FAR. En conséquence, les FAR ne peuvent être comparées à la « Wehrmacht », l’armée d’Hitler, une analogie qui n’aurait alors aucune base judiciaire.

Enfin, il convient de souligner que les FDLR ont été fondées pour marquer une rupture avec les FAR. Après la guerre des infiltrés et la défaite qui en a résulté en 1999, il devenait nécessaire de passer d’une armée étatique à un mouvement politico-militaire capable de défendre les réfugiés et leurs intérêts dans un contexte d’exil prolongé. Cette transition a permis de promouvoir de nouveaux officiers, moins visibles ou influents au sein des FAR, tout en intégrant des recrues issues directement des populations réfugiées. Par cette réorganisation, les FDLR ont non seulement changé de structure, mais également affirmé une volonté de rupture, non seulement formelle, mais aussi idéologique et fonctionnelle, avec les FAR.

2/ Pourquoi intégrer des anciens FAR au gouvernement rwandais si les FDLR sont qualifiés de génocidaires ?

De gauche à droite : Général Marcel Gatsinzi, Général de brigade Emmanuel Habyarimana, Général-major Albert Murasira, Général de brigade Juvénal Marizamunda, tous d’anciens membres des FAR, réintégrés dans les RDF.

Depuis que Paul Kagame est devenu président, le poste central de ministre de la Défense au sein de l’Etat rwandais a été occupé par cinq personnes, dont quatre sont d’anciens membres des FAR. Parmi eux figurent le général de brigade Emmanuel Habyarimana, ancien lieutenant-colonel dans les FAR avant le génocide ; le général-major Albert Murasira, ancien capitaine instructeur à l’École Supérieure Militaire (ESM) de Kigali et a également travaillé dans l’administration militaire sous le régime de Habyarimana ; et le colonel Juvénal Marizamunda, ancien lieutenant des FAR, qui, après un exil en RDC, a été contraint à l’exil au Gabon avant d’être rapatrié de force au Rwanda. À son retour, il a occupé des postes de haute responsabilité dans l’appareil sécuritaire du Rwanda sous le régime de Kagame.

Le général Marcel Gatsinzi est un autre exemple intéressant. Ancien officier supérieur des FAR, il a participé à la commission dirigée par le colonel Théoneste Bagosora, qui a rédigé le document « Identification de l’ennemi ». Ce texte a été utilisé par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) pour prouver l’existence d’un plan coordonné de génocide, conduisant à la condamnation des quelques officiers rwandais qui l’ont été.

Gatsinzi était le chef d’état-major adjoint des FAR et a également été nommé chef d’état-major des FAR au lendemain de l’attentat contre le président Habyarimana, qui a coûté la vie au général major Nsabimana, alors chef d’état-major. Selon le récit officiel du régime rwandais actuel, cet attentat aurait été perpétré par des « extrémistes hutu » qui voulaient saisir le pouvoir pour organiser le génocide. Si l’on suit cette logique, le colonel Gatsinzi, promu immédiatement général de brigade après cet événement, serait le principal bénéficiaire de cet attentat en prenant la tête de l’armée à un moment critique.

Malgré ce passé, Gatsinzi n’a pas été sanctionné par le régime post-génocide et a même été récompensé en étant intégré dans les hautes fonctions du gouvernement de Kagame jusqu’à occuper le poste de ministre de la Défense tout en étant promu de grade en grade au point même de devenir le premier général à quatre étoiles de l’histoire de l’armée rwandaise. Cette situation soulève des questions quant à la logique qui qualifie les FDLR de génocidaires uniquement en raison de leurs liens avec les FAR. Elle montre que cette affiliation aux FAR n’est pas un critère uniforme pour déterminer l’implication dans les crimes de 1994.

3/ L’intégration d’anciens leaders des FDLR au plus haut niveau des organes de sécurité du Rwanda contredit-elle la narrative et la doctrine annoncées par le régime de Kagame ?

Parmi les figures intégrées aux plus hautes fonctions, Paul Rwarakabije, ancien commandant en chef des FDLR, est un exemple marquant. Avant même la création des FDLR, Rwarakabije était chef d’état-major de l’Armée pour la Libération du Rwanda (ALiR), l’ancêtre des FDLR. À ce poste, il a été l’un des architectes principaux de la structure, de la doctrine, des objectifs et de la stratégie des FDLR. Selon de nombreux observateurs, la rigueur et la continuité de cette organisation n’ont jamais dévié des objectifs et des lignes directrices fixés à leur fondation.

Le lieutenant-colonel Rwarakabije, ancien membre des FAR et alors commandant en chef de la branche militaire des FDLR, est présenté aux médias peu après sa défection et son arrivée volontaire à Kigali. À ses côtés se tient le chef d’état-major des RDF de l’époque, le général Kabarebe, qui avait conduit les négociations ayant mené à cette défection.

En 1994, le lieutenant-colonel Rwarakabije occupait le poste de G3 au sein de l’état-major de la gendarmerie, ce qui le plaçait en charge des opérations. À ce titre, il joua un rôle central dans toutes les actions menées par la gendarmerie. Il convient de noter que le régime de Kagame considère régulièrement la gendarmerie comme l’un des organes clés de ce qu’il appelle « l’appareil génocidaire ». Cependant, malgré cette affiliation et sa défection ultérieure, Rwarakabije avait laissé un souvenir positif parmi les réfugiés hutu pour le rôle crucial qu’il avait joué dans leur protection.

En novembre 2003, le général-major Paul Rwarakabije a orchestré une reddition spectaculaire avec cent cinq de ses hommes, parmi lesquels figurait une bonne partie du haut commandement des FDLR. Son retour au Rwanda en 2005 est le résultat d’un marchandage intensif et d’une campagne de persuasion de six mois menés par le chef d’état-major des RDF de l’époque, le général de brigade James Kabarebe. Avant cela, les tribunaux populaires appelés Gacaca, créés pour juger les auteurs présumés du génocide, avaient condamné plus de 1 000 000 de Hutus pour génocide et pointé Rwarakabije parmi les présumés coupables. Pourtant, dès son retour, il a été acquitté de tous ses chefs d’accusation devant les tribunaux gacaca du secteur de Kimuhurura et promu à des fonctions officielles.

Depuis son intégration, Rwarakabije a bénéficié d’un traitement privilégié de la part du régime, ce qui soulève de nombreuses interrogations. Cette bienveillance contraste fortement avec le sort réservé à d’autres anciens membres des FDLR, accusés de perpétuer une idéologie génocidaire. Par ailleurs, il convient de rappeler que sa famille a payé un lourd tribut : sa femme et trois de ses quatre enfants ont été massacrés par l’APR durant la « guerre des infiltrés ».

D’autres figures de l’ancien leadership des FDLR ont également occupé des postes importants. Le colonel Jérôme Ngendahimana, ancien haut command des FDLR, a après avoir été promu au grade de général-major dirigé la Force de Réserve des RDF pendant plusieurs années, tandis que le lieutenant-colonel Evariste Murenzi, un autre ancien haut commandant des FDLR, est après avoir été promu général de bridage actuellement le commissaire général du Rwanda Correctional Service, responsable de l’ensemble des prisons rwandaises. Ces officiers, dont certains avaient mené des opérations pour tenter de revenir au Rwanda par les armes lors de la guerre des infiltrés en1998, se sont vu confier des fonctions de premier plan dans l’administration de Kigali.

Ces intégrations posent une question fondamentale : si les FDLR sont effectivement une organisation accusée de propager une idéologie génocidaire et de menacer le Rwanda, pourquoi certains de leurs anciens leaders occupent-ils des fonctions stratégiques au sein du gouvernement rwandais ? Cette contradiction met en doute la sincérité de l’accusation de génocidaire portée contre les FDLR et semble indiquer une relation ambivalente entre le gouvernement rwandais et ces anciens officiers, oscillant entre menace déclarée et intégration pragmatique.

4/ Les FDLR ont-ils joué un rôle dans le génocide contre les tutsis du Rwanda de 1994 ?

Formés en 2000, six ans après le génocide contre les tutsis de 1994, les FDLR n’existaient pas au moment des massacres. Au cours des 30 dernières années, malgré de nombreux rapports émanant d’experts des Nations Unies, d’organisations internationales non gouvernementales et de juridictions compétentes, souvent très critiques à l’égard des FDLR, aucun de ces documents n’a, à ce jour, établi ou documenté des crimes de masse ou des crimes à caractère génocidaire imputables aux FDLR depuis leur création. Compte tenu de la chronologie, comment les FDLR peuvent-ils être accusés d’un génocide survenu avant leur existence ?

Depuis 2004, le Conseil de sécurité des Nations Unies a mis en place un groupe d’experts chargé de produire des rapports semestriels sur la situation sécuritaire dans l’est de la RDC. Ces rapports analysent en détail les activités des différents groupes armés actifs dans la région, dont les FDLR. Bien que les FDLR soient régulièrement mentionnés pour leur implication dans divers incidents sécuritaires, aucun de ces rapports n’a jamais documenté de crimes à caractère ethnique commis par les FDLR.

Cette surveillance internationale continue n’a jamais épargné les FDLR, mais elle n’a également jamais révélé d’éléments indiquant une application d’une idéologie de génocide dans leurs opérations. Il est donc crucial de faire la distinction entre les crimes divers commis dans un contexte de conflit armé et des actes motivés par une idéologie génocidaire. Bien que cette accusation soit régulièrement avancée, souvent alimentée par des perceptions populaires ou des idées préconçues, il est important de noter qu’aucune preuve concrète ou vérifiable n’a, à ce jour, établi que les FDLR fondent leurs actions sur une idéologie génocidaire.

5/ Les FDLR utilisent-ils le terrorisme pour influencer et déstabiliser la région ?

La désignation de « groupe terroriste » suppose une utilisation systématique de la violence pour instiller la peur et servir des objectifs politiques. Or, en 20 ans, les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) n’ont revendiqué qu’une seule attaque sur le territoire rwandais : en 2019, à Busasamana (Nord-Ouest du Rwanda), où une caserne militaire a été ciblée, entraînant la mort de trois soldats des Forces de Défense du Rwanda (RDF). En République Démocratique du Congo (RDC), les rapports du Bureau Conjoint des Nations Unies pour les Droits de l’Homme (BCNUDH) montrent que les FDLR ne figurent pas parmi les groupes les plus violents, contrairement à des organisations comme les ADF, le M23 et CODECO. Peut-on alors légitimement les qualifier de groupe terroriste ?

En 2013, les États-Unis ont placé les FDLR sous la liste des sanctions financières du Département du Trésor américain, en même temps que le M23, sans toutefois les inscrire sur leur liste officielle des « Foreign Terrorist Organizations » (FTO). Cette classification ne fait donc pas des FDLR un groupe terroriste selon les normes américaines, bien qu’ils soient soumis à des restrictions économiques.

L’Armée de Libération du Rwanda (ALiR), dissoute en 2000 pour permettre la création des FDLR, figure néanmoins sur la « Terrorist Exclusion List » des États-Unis. Cette inscription est notamment liée à l’attaque tragique contre des touristes occidentaux dans le parc de Bwindi, en Ouganda, le 1er mars 1999. Lors de cet événement, huit touristes étrangers, dont deux Américains, ont été brutalement tués.

Cependant, des doutes sérieux entourent la responsabilité réelle de l’ALiR dans cette attaque. Selon Aloys Ruyenzi, ancien officier rwandais ayant fait défection, cette opération aurait été orchestrée par des soldats du Front Patriotique Rwandais (FPR) déguisés en rebelles Interahamwe. Ruyenzi explique : « Les touristes occidentaux tués dans le parc national de Bwindi ont été victimes d’une opération planifiée par le FPR. L’objectif était d’internationaliser la menace des Interahamwe et de justifier les opérations militaires en RDC. En accusant ces rebelles, le FPR cherchait à se donner une image favorable tout en éliminant la présence étrangère gênante dans les zones où ses atrocités étaient commises. »

Trois Rwandais, Léonidas Bimenyimana, François Karake et Grégoire Nyaminani, ont été accusés d’avoir participé à l’attaque de Bwindi et extradés par les autorités rwandaises vers les États-Unis en 2003. Leur procès a cependant révélé des éléments troublants : les accusés ont déclaré avoir été torturés par des agents rwandais pour obtenir des aveux.

Le juge fédéral Ellen Segal Huvelle, en charge de l’affaire, a statué en 2006 que les aveux obtenus sous la torture étaient inadmissibles. Elle a déclaré : « La cour est douloureusement consciente que deux touristes américains innocents ont été brutalement tués à Bwindi le 1er mars 1999. Cependant, le droit ne peut pas permettre que des preuves obtenues de manière coercitive soient utilisées dans ce tribunal. »

Le juge a également noté que les accusations reposaient principalement sur ces confessions douteuses, décrivant les conditions de détention des accusés comme inhumaines et incompatibles avec les principes fondamentaux de justice. Les accusés ont témoigné avoir été soumis à des sévices tels que le « kwasa kwasa », où leurs bras étaient ligotés dans des positions douloureuses, ainsi qu’à des passages à tabac prolongés.

Il convient de souligner que les FDLR, en tant qu’organisation distincte de l’ALiR, n’ont jamais été inscrites sur la « Terrorist Exclusion List » des États-Unis. Cette affaire révèle l’influence des services de renseignement rwandais sur l’image des FDLR au niveau international. En 2024, les FDLR ne figurent sur aucune liste officielle de groupes terroristes, qu’elle soit établie à l’échelle nationale, régionale, internationale ou multilatérale.

6/ Qu’est-ce qui justifie encore l’existence des FDLR ?

L’existence des FDLR s’explique par un contexte historique, politique et sécuritaire profondément enraciné depuis près de trois décennies. Ce groupe est né en 2000, dans le sillage de l’exode massif de plus de deux millions de Rwandais, principalement des Hutus, ayant fui leur pays après la prise de pouvoir du Front Patriotique Rwandais en 1994. Si une partie importante de ces réfugiés s’est installée en République Démocratique du Congo, d’autres ont fui à travers le monde. Certains vivent encore dans des camps de réfugiés au Congo-Brazzaville, en Ouganda ou en Afrique australe, tandis que d’autres se sont établis en Europe ou en Amérique.

Cette communauté a également été marquée par des vagues chroniques de massacres qui ont ciblé ces populations réfugiées depuis près de 30 ans, entraînant de lourdes pertes humaines. Une autre partie des réfugiés est retournée au Rwanda, soit volontairement, soit sous contrainte, souvent dans des conditions contestées. Aujourd’hui, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) recense plus de 240,000 réfugiés rwandais sous statut officiel. Ce chiffre, toutefois, est loin de refléter la réalité : si l’on ajoute les apatrides, les non-enregistrés et ceux vivant sous de fausses identités, ce nombre double aisément.

Les FDLR justifient leur existence par l’absence de dialogue politique avec Kigali et par les conditions qui ont conduit ces réfugiés à l’exil : répression politique, marginalisation, et absence de garanties pour un retour sécurisé et digne. Le gouvernement rwandais n’a instauré aucun mécanisme crédible permettant une réintégration de ces populations dans des conditions respectueuses de leurs droits fondamentaux. Dans ce vide politique, les FDLR se positionnent, pour certains, comme un outil de revendication et, pour d’autres, comme une force de protection.

Le maintien des FDLR est également intrinsèquement lié à l’instabilité de l’est de la RDC, où l’insécurité chronique pousse chaque communauté à s’organiser pour sa survie. Majoritairement composées de jeunes réfugiés hutus, les FDLR assurent une forme de défense pour des populations qui, autrement, seraient sans protection. Le rapport Mapping de l’ONU (2010) a documenté les graves violences subies par ces réfugiés hutus en RDC, qualifiant certains actes de possibles crimes de génocide. Ces menaces persistantes expliquent en partie pourquoi les FDLR continuent d’exister.

Les rébellions soutenues par Kigali, telles que le CNDP, le RCD-Goma, et encore aujourd’hui le M23, ont exacerbé ce climat d’insécurité. Selon le dernier rapport du Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC (juin 2024), « le M23 et la RDF ont spécifiquement ciblé des localités majoritairement habitées par des Hutus. » Ces attaques renforcent la perception des FDLR comme une force de défense, même si elles ne répondent pas pleinement aux besoins de ces communautés.

Par ailleurs, les FDLR ne se limitent pas à une dimension militaire : elles incluent une organisation politique et mènent des activités sociales et d’encadrement auprès des réfugiés. Tous leurs membres ne sont pas des combattants, l’organisation comprend majoritairement des civils.

L’existence des FDLR reflète l’échec à résoudre un problème politique de fond. Tant que le gouvernement rwandais refusera de dialoguer avec les réfugiés et d’aborder les causes profondes de leur exil, les conditions pour la survie de groupes comme les FDLR persisteront. Une solution durable passe par un effort régional et international pour établir un dialogue inclusif, s’attaquer aux racines de cette crise, et mettre fin à l’instabilité dans la région des Grands Lacs.

Des enfants rwandais vivant dans les forêts de l’est du Congo, faisant partie des nombreux réfugiés rwandais placés sous la protection des FDLR.

7/ Les FDLR et le M23 sont-ils comparables ?

Le M23, soutenu par une aide militaire significative du Rwanda, cherche à imposer sa domination sur des territoires en RDC, contrôlant des zones stratégiques et disposant d’armements lourds. En revanche, les FDLR, bien plus réduits en nombre et en capacités, n’ont ni ambition territoriale, ni soutien militaire équivalent. Leur objectif principal est le retour sécurisé des réfugiés hutu au Rwanda. Cette comparaison, souvent faite dans les discours diplomatiques, occulte les différences fondamentales entre ces deux groupes en termes de soutien, de structure, et d’intentions.

Cette tendance à établir une fausse équivalence entre les FDLR et le M23 est courante dans la diplomatie internationale. Par exemple, lors de sa visite à Kigali en août 2022, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a déclaré que les FDLR bénéficieraient du soutien de la RDC, tandis que le M23 serait soutenu par le Rwanda. Cette formulation semble attribuer une part de responsabilité équivalente aux deux pays, comme si le soutien au M23 par le Rwanda et la tolérance occasionnelle de la RDC envers les FDLR étaient comparables. Or, cette comparaison, bien que politiquement commode, est factuellement trompeuse.

Les FDLR, selon les estimations des Nations Unies, ont vu leur effectif passer plus ou moins 1 500-2000 membres selon les estimations de l’ONU, l’armée rwandaise est officieusement estimé à près de 100 000 hommes alors que le M23 est évalué à plus de 6000 soldats. Aujourd’hui, les FDLR n’ont ni les moyens matériels, ni la capacité humaine d’engager des offensives significatives contre le Rwanda. Leur dernière attaque d’envergure au Rwanda remonte à 2001. En revanche, le M23, soutenu de manière substantielle par le Rwanda, demeure capable de mobiliser des troupes bien armées et d’exercer un contrôle direct sur le terrain en RDC, affectant directement les populations locales et provoquant de vastes déplacements.

La comparaison entre les FDLR et le M23 est non seulement erronée mais elle peut aussi être dangereuse. En 2009, cette fausse équivalence a conduit la communauté internationale à encourager des opérations conjointes entre les armées congolaise et rwandaise, comme « Umoja Wetu », pour combattre les FDLR. Ces opérations ont causé des déplacements massifs et des pertes civiles considérables, tout en exacerbant l’instabilité de la région. De même, en 2013, des pressions similaires pour « neutraliser » les FDLR ont conduit à des opérations violentes, impactant durement les populations civiles sans résoudre les tensions sous-jacentes.

Ce type de discours justifie également une intervention rwandaise en RDC sous prétexte de « sécuriser » la région contre les FDLR. Pourtant, la présence militaire rwandaise sur le sol congolais tend à provoquer les alliances temporaires entre l’armée congolaise et les FDLR, créant ainsi une boucle de violence qui ne profite ni aux populations locales ni à la stabilité régionale. En outre, la perception que le soutien du Rwanda au M23 serait motivé par la menace des FDLR est en grande partie infondée. Les opérations militaires rwandaises en RDC, comme l’a observé le Groupe d’experts de l’ONU, ont souvent précédé les phases récentes de coopération entre la FARDC et les FDLR, ce qui suggère une instrumentalisation des FDLR pour justifier des actions plus larges.

En somme, les FDLR et le M23 ne sont ni comparables dans leurs objectifs, ni dans leurs capacités, ni dans les implications de leur présence pour la sécurité régionale. Utiliser une hypothétique équivalence pour équilibrer les responsabilités des deux gouvernements est non seulement trompeur, mais aussi susceptible d’aggraver le conflit.

8/ Les Rwanda recyclent-ils d’anciens combattants des FDLR pour les opérations des RDF et du M23 en RDC ?

Les Forces de défense rwandaises sont régulièrement accusées de soutenir des groupes armés dans l’est de la RDC, notamment le Mouvement du 23 mars (M23). Selon le rapport du Groupe d’experts de l’ONU de décembre 2023, environ 250 ex-combattants des FDLR réintégrés au Rwanda ont été mobilisés par les RDF pour des opérations de soutien tactique et de reconnaissance en RDC, sous la supervision du renseignement militaire rwandais. Le rapport précise : « Les RDF et le M23 ont été soutenus par plusieurs équipes d’appui tactique et de reconnaissance comprenant au total 250 ex-combattants des FDLR et opérant sous le commandement du service du renseignement de la défense du Rwanda (DID). »

L’exemple du général Côme Semugeshi illustre cette stratégie de recyclage. Ancien gendarme et membre de la rébellion rwandaise CNRD, il s’est rendu à la Monusco en 2017 avant d’être rapatrié au Rwanda. Selon un témoin cité par RFI dans l’article « Militaires rwandais en RDC : quelles preuves ? » (avril 2020), Semugeshi, désormais intégré dans l’armée rwandaise, a été aperçu en 2019 aux côtés des RDF, déployé en uniforme congolais et participant à des opérations des RDF.

Ce recyclage met en lumière un paradoxe majeur : le Rwanda qualifie les FDLR de groupe terroriste et génocidaire, mais récupère certains de ses anciens membres pour les intégrer dans ses propres forces et les renvoyer en RDC, contribuant ainsi aux opérations de déstabilisation dans la région. Cette instrumentalisation des ex-FDLR pour les intérêts militaires rwandais interroge la cohérence et la sincérité de la position officielle rwandaise.

9/ Comment alors qualifier les FDLR ?

La qualification des FDLR a été fortement influencée par la narration officielle du gouvernement de Kigali, qui les désigne systématiquement comme un groupe génocidaire et terroriste. Pourtant, la communauté internationale a rarement pris le temps de remettre en question cette narration, adoptant trop souvent, sans examen critique, le discours du gouvernement rwandais. Ce choix de termes n’est pas anodin : il influence directement la manière de traiter la question des FDLR et de trouver des solutions viables et durables pour la paix dans la région.

En diplomatie, les mots sont soigneusement choisis, et la terminologie utilisée peut ouvrir ou fermer des portes. Dans un communiqué de février 2024, le département d’Etat américain a employé l’adjectif « négatif » pour qualifier les FDLR dans le contexte des hostilités à l’est de la RDC. En abaissant d’un niveau le champ lexical, les États-Unis ont ainsi offert une voie permettant de considérer d’autres solutions que l’option militaire. Bien que cette démarche n’ait pas encore reçu de soutien massif, elle ouvre la possibilité d’une approche plus constructive, où le dialogue serait privilégié.

Qualifier un groupe de « terroriste » ou de « génocidaire » tend à exclure toute possibilité de dialogue et mène souvent à des mesures exclusivement militaires, une stratégie qui, dans le cas des FDLR, a prouvé ses limites. À l’inverse, une qualification plus nuancée pourrait faciliter un dialogue en reconnaissant les racines politiques et sociales du mouvement, et ainsi permettre une solution durable aux revendications des réfugiés rwandais.

Il est donc urgent de reconsidérer cette approche et d’adopter une terminologie pragmatique qui facilite le dialogue. La communauté internationale, et en particulier les acteurs impliqués dans la résolution de la crise sécuritaire à l’est de la RDC, gagneraient à considérer les FDLR comme une organisation de résistance politique visant à protéger les réfugiés hutu en exil et à négocier leur retour sécurisé au Rwanda, plutôt qu’à les traiter uniquement comme un groupe militaire à éliminer. En prenant en compte la dimension politique des FDLR, on se rapproche, paradoxalement, d’une solution globale et durable à leur présence en RDC, y compris à leur dimension militaire.

10/ Pourquoi le dialogue avec les FDLR pourrait-il être essentiel pour la paix régionale ?

Les FDLR représentent la principale voix des réfugiés rwandais dans l’est de la RDC, avec des liens solides avec plus de 250 000 réfugiés. Les exclure du processus de paix reviendrait à ignorer un acteur clé dans la résolution des tensions régionales. Le processus de paix entamé à Luanda, visant la neutralisation des FDLR et le retrait des troupes rwandaises de la RDC, pourrait ouvrir la voie à un dialogue constructif.

Au fil des ans, plusieurs dirigeants ont compris qu’un dialogue avec les FDLR pourrait être essentiel pour apaiser les tensions dans la région des Grands Lacs. En 2013, Didier Reynders, alors ministre belge des Affaires étrangères, a appelé implicitement le Rwanda à considérer cette option, déclarant que « le dialogue avec toutes les forces que l’on qualifie souvent de négatives, si elles ne prennent pas les armes, si elles acceptent de dialoguer (…), c’est d’abord une priorité nationale, puis régionale ». De même, le président tanzanien Jakaya Kikwete, lors d’un sommet à Addis-Abeba en 2013, avait invité Kigali à engager des négociations avec les FDLR, soulignant qu’« il n’y a pas de paix durable, sans négociation globale ».

En 2005, les FDLR elles-mêmes ont montré leur ouverture au dialogue en signant un accord à Rome avec le gouvernement congolais, sous la médiation de la Communauté de Sant’Egidio. Dans cette déclaration, elles s’engageaient à abandonner la lutte armée, condamnaient le génocide de 1994, et appelaient à des solutions politiques pour les problèmes de la région. Ce geste marquait une première reconnaissance officielle du génocide par les FDLR, un pas significatif vers la paix.

Malgré ces initiatives et appels au dialogue, Kigali refuse toujours de discuter avec les FDLR, tout en plaidant vigoureusement pour un dialogue entre la RDC et le M23, un groupe armé soutenu par le Rwanda. Cette position est incohérente et soulève des questions. Pourquoi appeler au dialogue pour des groupes alliés, tout en le refusant pour une opposition interne ?

La région des Grands Lacs, marquée par des décennies de violence et de souffrances, doit aujourd’hui explorer d’autres voies que les armes. Une paix durable ne peut être atteinte que par des efforts sincères de négociation, comme l’ont reconnu certains leaders visionnaires par le passé. Un dialogue entre le Rwanda et les FDLR offrirait une réelle opportunité pour rompre le cycle des conflits et stabiliser durablement la région.

De gauche à droite : Amb. Olivier Nduhungirehe (Ministre des Affaires étrangères du Rwanda), Général Victor Byiringo (Président par intérim des FDLR), Tete António (Ministre des Relations Extérieures de l’Angola), Thérèse Kayikwamba Wagner (Ministre des Affaires étrangères de la République démocratique du Congo).

Conclusion : neutralisation ou dialogue ?

Les faits montrent une réalité plus complexe que l’image réductrice d’un groupe purement génocidaire. Les FDLR ne sont pas un simple groupe armé, mais l’émanation d’une vaste population de réfugiés rwandais, comptant plusieurs centaines de milliers de personnes. Ces communautés sont installées principalement en RDC, mais également dans des camps en Ouganda, au Congo-Brazzaville et dans d’autres pays de la région. Pour ces réfugiés, les FDLR représentent une organisation de défense et de protection, qui leur permet de préserver leur sécurité et leurs droits face aux menaces perçues. Au fil des années, les FDLR ont été continuellement renforcés par des recrues volontaires venant de ces communautés de réfugiés, mais aussi par des exilés récents du Rwanda. Ce phénomène souligne le lien profond qui unit le mouvement aux populations de réfugiés rwandais.

En RDC, les FDLR jouent depuis vingt ans un rôle de protecteur auprès des populations hutu congolaises, particulièrement dans les régions du Sud et du Nord-Kivu, où cette communauté est fortement implantée. Ce soutien local a permis aux FDLR de se renforcer et de s’ancrer durablement, obtenant la confiance de ces populations qui les perçoivent comme une garantie de sécurité.

Malgré de nombreuses tentatives de neutralisation, les FDLR ont montré une grande résilience face aux opérations militaires et aux pertes de leurs dirigeants. Plusieurs de leurs leaders clés ont été éliminés, capturés, ou portés disparus. En 2019, le général-major Sylvestre Mudacumura, l’un des fondateurs et commandant en chef des FDLR, a été tué lors d’une opération conjointe des FARDC et RDF. Plus récemment, en décembre 2023, le colonel Ruvugayimikore alias Ruhinda, chef de l’unité CRAP des FDLR et considéré comme l’un des meilleurs combattants des FDLR, a également été tué dans des circonstances ambiguës. Les FDLR ont aussi fait face à de vastes opérations militaires conjointes entre les armées rwandaise et congolaise, telles que « Umoja Wetu », « Kimia II » et « Amani Leo », mobilisant des dizaines de milliers de soldats. Bien que ces campagnes aient affaibli les FDLR, elles n’ont pas réussi à éradiquer le mouvement.

Aujourd’hui, les FDLR demeurent l’un des rares mouvements armés organisés et structurés dans l’est de la RDC. Leur disparition totale est un objectif difficile à atteindre tant qu’ils continueront à bénéficier du soutien des populations locales. En effet, cette base sociale, étroitement liée au mouvement par des liens historiques et communautaires, assure un renouvellement constant des FDLR. Pour beaucoup de hutus de cette région, tant rwandais que congolais, les FDLR incarnent un rempart face à l’insécurité et garantissent leur survie dans une région instable.

En somme, une neutralisation purement militaire des FDLR se heurte aux racines sociales et politiques du mouvement. Si ces opérations causent des pertes à court terme, elles restent inefficaces pour démanteler une organisation profondément enracinée dans les communautés de réfugiés rwandais et hutus congolais. La seule solution durable passe par la reconnaissance des revendications politiques des FDLR et l’ouverture d’un dialogue. Le Rwanda devrait envisager des concessions, élargir son espace politique, et faciliter le retour des réfugiés rwandais. Dans un tel contexte, les FDLR pourraient se transformer en un mouvement politique au Rwanda, abandonnant leur structure politico-militaire basée en RDC.

Norman Ishimwe

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