Le 2 décembre 2024, à la Haute Cour de Nyamirambo à Kigali s’est ouvert le procès des neuf personnes accusées de « vouloir changer le gouvernement en usant de moyens pacifiques ».
Ce chef d’accusation qui pourrait sembler absurde, voire ridicule sous d’autre cieux, car comment serait-ce un crime de souhaiter un changement de gouvernement par des moyens pacifiques et non-violents, est considéré comme extrêmement grave au Rwanda du Général Paul Kagame.
En effet l’accusation veut présenter les accusés comme des dangereux insurrectionnaires ayant comploté pour renverser le gouvernement, alors que dans les faits, il s’agit tout simplement d’activistes et militants politiques qui ont cherché de l’inspiration ailleurs pour trouver des moyens innovants d’exprimer leurs opinions face à un pouvoir qui s’entête à rester sourd à la souffrance de son peuple.
Les prévenus ont été arrêtés le 14 octobre 2021, le procès commence donc après un délai de plus de trois années de détention provisoire alors que le code de procédure pénale prévoit une durée maximale d’une année.
Les neuf personnes accusées sont :
Théoneste Nsengimana, un journaliste indépendant qui dirige la chaîne YouTube Umubavu TV. Ce média publie des reportages et des commentaires sur la vie socio-politique rwandaise. Il s’est fait connaitre par la diffusion de reportages sur des cas d’abus ou d’injustice frappant les Rwandais les plus défavorisés, que le régime aurait souhaité garder sous silence, notamment dans l’affaire des expropriations abusives de Kangondo, ainsi que des entretiens avec des personnalités de l’opposition. Il est accusé de diffusion de fausses informations.
Campagne pour la Presse Libre: Théoneste Nsengimana
Ses huit compagnons d’infortune sont accusés d’être membres du parti politique d’opposition DALFA-Umurinzi, il s’agit de :
Sylvain Sibomana, considéré par l’accusation comme le leader du groupe, il est ancien secrétaire général du parti FDU-Inkingi. Il avait été libéré le 27 février 2021 après avoir purgé une peine de huit ans d’emprisonnement pour incitation à des manifestations illégales. Il avait été arrêté en 2013 en compagnie d’autres jeunes militants des FDU, au motif absurde que pour soutenir leur présidente Victoire Ingabire, alors en procès, ils s’étaient rendus au tribunal en portant des t-shirts sur lesquels étaient écrits les mots « Nous avons besoin de la Justice et la Démocratie » ainsi que des pin’s à son effigie.
Ses autres co-accusés sont Hamad Hagenimana, Emmanuel Masengesho, Alphonse Mutabazi, Marcel Nahimana, Jean Claude Ndayishimiye, Alexis Rucubanganya, Claudine Uwimana et Ingabire Josiane, jugée in absentia car elle aurait réussi à échapper à l’arrestation.
Un démarrage difficile
Après plus de trois années d’une détention provisoire illégale, inique et injustifiée au vu de la faiblesse des accusations, le procès s’est ouvert le 18 octobre 2024, mais à la surprise générale cette première audience s’est tenue à huis clos, sur décision des juges. Lors de cette audience le journaliste Théoneste Nsengimana a réitéré sa demande d’instruire son dossier dans un procès séparé des huit membres de DALFA-Umurinzi, en indiquant qu’il n’était pas membre de ce parti politique, mais simplement journaliste. En outre, ce dernier indiquait n’avoir pas lu le livre « comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit, et sansarmes » sur lequel se base l’essentiel des accusations. Ses huit co-accusés ont quant à eux demandé une libération immédiate au vu de leur longue détention provisoire. Toutes les demandes des accusés ont été refusées et le procès renvoyé à une date ultérieure.
Une nouvelle audience a eu lieu le 2 décembre 2024 et cette fois-ci, le public, venu nombreux a été admis dans la salle d’audience.
Cette journée d’audience a été marquée par deux événements inattendus : l’absence de Théoneste Nsengimana et l’irruption de Maitre Gashema Félicien dans le procès en affirmant être le nouvel avocat du journaliste, alors que jusque-là Mr Nsengimana avait toujours refusé de prendre un avocat et s’était défendu tout seul.
Après plus d’une heure d’attente et de tractation entre la cour et l’accusation, la cour a annoncé qu’elle venait d’être informé par la prison que le journaliste souhaiterait se retirer de son procès et aurait donc refusé de comparaitre.
Maitre Gashema Félicien s’est déclaré surpris de cette annonce puisqu’il aurait rendu visite à son nouveau client la veille et que rien de tel n’avait été évoqué. Théoneste Nsengimana ayant plutôt manifesté la volonté d’en finir avec ce procès au plus vite afin de pouvoir retrouver sa famille. Ceci a aussi été confirmé par son épouse aux médias.
La cour a réaffirmé le droit de Mr. Nsengimana de se retirer du procès ou d’engager un avocat, tout en soulignant que ces deux nouveaux faits doivent être confirmés par l’accusé en personne ou par un écrit officiel. Il est dès lors impossible de poursuivre les débats sans la présence du premier concerné. L’audience a été suspendue jusqu’au 5 décembre, le temps de clarifier cette situation.
Le procès a repris le 5 décembre 2024, en présence de Nsengimana Théoneste. Le public et les médias s’attendaient à ce que l’audience débute par une explication quant aux motifs de son absence lors de l’audience précédente, il n’en fut rien et le président de la cour ordonna la reprise du procès comme si de rien n’était, en donnant la parole au procureur pour exposer – l’acte d’accusation.
L’exposé du procureur a pris deux journées, mais en définitive, l’accusation peut se résumer en une phrase : les prévenus auraient conspiré pour renverser le gouvernement, et auraient agi sous les ordres de Madame Victoire Ingabire.
En réalité, les fait tels que relatés par le parquet lui-même sont plutôt d’une banalité affligeante et rien ne se serait passé si ça n’avait été la paranoïa du Rwanda Investigation Bureau (RIB) et l’intolérance absolue du régime de toute voix dissonante.
Comme cela pourrait se passer sous toutes les latitudes, des jeunes militants du parti DALFA-Umurinzi se sont concertés pour trouver des moyens innovants pour exprimer leurs idées dans un environnement qui interdit toute expression publique d’opinions alternatives. C’est en cherchant à s’inspirer d’autres mouvements contestataires ailleurs dans le monde, tels que l’Occupy Wall Street de 2011 aux Etats-Unis, qu’ils en sont arrivés à lire et partager le livre « Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans armes » de l’activiste serbe, Srdja Popović.
Ils auraient ensuite contacté l’auteur du livre pour approfondir le sujet et auraient participé à des séances de discussion en ligne sur la résistance non violente animées par des membres de l’ONG Centre for Applied Non-Violence (CANVAS) fondé par Mr Popović.
Un informateur de la police qui était infiltré au sein du groupe a enregistré ces séances et les a transmis au RIB. C’est sur ces enregistrements que repose toute l’accusation. Ensuite, la coïncidence de ces ateliers en ligne et les préparatifs de la journée « Ingabire Day » prévue le 14 octobre ont créé un vent de panique chez les policiers, et conduit à l’arrestation des activistes.
Après la pause de Noël, le procès a repris le 06 janvier 2025 avec les plaidoiries de la défense.
Le premier accusé à prendre la parole a été Alphonse Mutabazi. Il a déclaré réfuter les accusations portées contre lui, en arguant qu’il n’avait pas participé à ces formations, et ne comprend pas pourquoi le parquet s’acharne à vouloir lier ces activités en ligne et l’Ingabire Day, célébrée depuis plusieurs années.
Madame Claudine Uwimana, la seule femme parmi les prévenus a quant à elle affirmé que les discussions auxquelles elle a participé n’avaient pas pour objectif de renverser le gouvernement, mais de réfléchir à de nouveaux moyens d’agir et de faire entendre les préoccupations de la population de manière pacifique.
Maitre Gatera Gashabana, l’avocat qui représente les activistes a expliqué que les enregistrements présentés comme preuves par le parquet ont été obtenus illégalement, et a demandé à la Cour de ne pas en tenir compte.
Le 7 janvier, les débats se sont poursuivis. Il a d’abord été question d’un certain Boniface Nzabandora, absent du dossier alors qu’il est l’acteur central de toute cette affaire. Il s’agit du fameux informateur de la police et unique témoin à charge dans ce procès, sur qui repose toute l’accusation. La défense souhaite qu’il soit convoqué pour être entendu sur son rôle exact dans cette instruction.
Emmanuel Masengesho a nié les affirmations du procureur voulant faire passer ses séances en ligne pour une formation en vue du renversement du pouvoir. Il a donné l’exemple d’une séance dans laquelle l’objectif était de comprendre l’origine de l’incompréhension entre les autorités et la population et réfléchi aux moyens de les résoudre pacifiquement dans le dialogue. Il déclare que pour lui en tant que militants politique, ces ateliers ont été bénéfiques et qu’il n’y voit rien de criminel.
Son collègue Marcel Nahimana a quant à lui indiqué à la cour qu’il ne voit toujours pas ce qu’il y a de mal à demander que le citoyen soit traité avec dignité.
La dernière plaidoirie du jour a été celle d’Alexis Rucubanganya qui dit que pour lui, le fait de se former à la résolution des conflits sans violences vaut tout ce qu’il a appris pendant ses dix années d’étude.
Le RIB et le procureur veulent présenter cela comment une préparation d’insurrection violente alors que d’après leurs propres preuves, les prévenus ne parlaient que d’initiatives pacifiques et citoyennes qui leur permettraient d’exprimer des opinions et rien d’autres, et cela n’est pas illégal, y compris dans une dictature comme au Rwanda.
En revanche, ce qui qui ressort de l’exposé du procureur est que ce procès vise en réalité la présidente du parti DALFA_Umurinzi, Madame Ingabire. En effet, le procureur a parlé de la politicienne plus qu’il n’a accusé les prévenus. On se demande bien pourquoi Madame Ingabire qui pourtant suit les audiences dans le public et ne se cache pas, n’est pas poursuivie alors que le RIB et le procureur affirment qu’elle serait l’instigatrice de toute cette affaire. Serait-ce parce malgré les trois années d’enquête et de pression sur les accusés, aucune preuve ou aucun témoignage compromettant n’a pu être trouvé contre elle ?
Sans le vouloir, le procureur confirme que toute cette mascarade ne vise qu’un seul objectif, à savoir l’élimination de Victoire Ingabire de la scène politique Rwandaise en l’accusant de crimes aussi graves qu’une tentative d’insurrection.
En effet, malgré les huit années d’emprisonnement (2010 – 2018), la persécution dont elle et ses partisans continuent d’être les victimes et l’ostracisation par les médias publics, la popularité de Mme Ingabire n’a cessé d’augmenter ces dernières années grâce à ses actions caritatives et ses plaidoyers pour les sans voix relayés par des médias alternatifs en ligne comme la chaine Umubavu TV de Théoneste Nsengimana.
Depuis l’été dernier, Il ne se passe pas une semaine sans qu’un média proche du pouvoir ou une personnalité publique ne lance une attaque, allant jusqu’aux menaces de mort, contre Victoire Ingabire, et ce jusqu’au président Kagame lui-même, qui, encore récemment, dans un énième discours glaçant, est allé jusqu’à menacer d’user de moyens extra judicaires si la justice ne parvenait pas à régler leurs comptes aux personnalité récalcitrantes telle que Mme Ingabire.
Au fond ce qui est reproché aux neufs prévenus et par extension à Mme Victoire Ingabire n’est pas de chercher à déstabiliser ou renverser le pouvoir, car il est évident qu’ils n’en ont ni la volonté et encore moins les moyens, ce qui leur est reproché et qui est encore plus grave aux yeux du régime est ce que George Orwell a appelé le crime de pensée, c’est-à-dire le fait d’entretenir une croyance ou un doute contraire au parti au pouvoir, de quelque manière que ce soit. Pour le FPR, envisager et exprimer publiquement qu’il pourrait y avoir une alternative à la direction du pays est un défi que le système totalitaire patiemment construit pendant ces 30 dernières années ne peut tolérer.
La reprise de ce procès kafkaïen est prévue le 05 février 2025. Est-ce que cette nouvelle année sera l’année ou la justice rwandaise saura prendre son indépendance et le régime gagner un peu de sagesse
Ou alors à défaut de justice, les juges seront touchés dans leur humanité par l’appel de Cyuzuzo Queen Alicia, la fille ainée de Théoneste Ngengimana pour la libération de son papa ?
L’expérience des trente ans du régime FPR nous fait douter, mais abandonner toute espérance reviendrait à accepter que le rwandais est condamné à vivre à jamais sous la botte d’un régime totalitaire.
Luc Rugamba